Journal de confinement, page 13...

Lundi 5 avril, mardi 6 avril, mercredi 7 avril

Le confinement affûte l’imagination.

Habitué à me dépenser sans compter, à partir par tous les temps à vélo, sur les chemins des environs, en grandes boucles où en aller simple et retour par les TER qui desservent régulièrement les bourgades des bords du Doubs, Dôle, Montbéliard ou Baume les Dames, je trouve pénibles les premières journées d’enfermement. Le corps regimbe de n’avoir pas usé ses forces. Dévaler, et remonter, dix ou quinze fois de suite les 76 marches d’escalier qui mènent à la niche ne suffit pas à apaiser l’animal. Certes, ça fait chauffer les cuisses, ça fait couler la sueur, mais ça n’enrichit pas l’esprit, du moins pas autant qu’observer le martin pêcheur en goguette, le héron en déambulation ou le chamois en escalade.

Sous peine de devenir client potentiel de l’établissement psychiatrique local, il me faut d’urgence trouver de quoi user mon temps, sinon mes forces.

Le confinement affûte l’imagination, disais-je en préambule.

Œuvrer dans un appartement, loin du Minus couronné qui rôde. S’occuper des trucs en cours, commencés il y a hmmmmmmmmm lonnnnnnnnnngt, jamais finis.
Jamais finis, parce que c’était plus le moment, parce qu’on n’avait plus le temps, parce que c’était presque fini, que c’était pas une affaire, qu’on verrait ça demain, dimanche prochain, au printemps, l’année prochaine, parce que c’est chiant, parce que c’était pas une bonne idée, parce que ça n’a aucun intérêt, parce qu’il y a mieux à faire dehors, parce que je sais pas quoi, mais j’en suis sûr...

Alors j’ai vidé les placards, agencé les placards, rangé les placards, alors j’ai vidé les tiroirs, rempli les poubelles de tous ces petits brimborions archi précieux, mais dont j’ai oublié l’utilité, alors j’ai trié les chaussettes et abandonné sans vergogne les orphelines, les trouées, les moches, alors j’ai plié les tee shirt, les pauvres, ça leur a fait drôle, alors j’ai dépoussiéré et rangé les bouquins, après en avoir collé quelques-uns dans des cartons, pour emaus.

Alors je me suis dit que c’était le moment idéal pour m’attaquer à la cdthèque..... Pffffff..... Plus de 1200 galettes de plastique, l’essentiel de ma culture musicale. Tu sais, au début, tu les ranges soigneusement, par genre, par style, par artiste, par couleur, et tu t’y tiens. Tu t’y tiens tant que tu en as cent ou deux cents. Tu ouvres même un registre, un cahier, puis un dossier excel quand arrive chez toi le premier ordi.
Puis tu laisses courir. Faudrait pas devenir un vieux maniaque, tout de même. Tu n’as rien contre les comptables mais quand même !

Avec le temps, la collection s’est élargie, épaissie, disons enrichie. Vlan ! Elle dépasse le millier. Il s’agirait qu’elle ne se dissémine pas dans tout l’appartement. Il s’agirait qu’elle soit sous contrôle. Il s’agirait qu’elle soit utilisable. Quand tu as une brutale envie de réécouter John Coltrane, faudrait pas passer vingt minutes à le chercher. Pareil pour Galliano, Shubert ou Marie et ses Beaux Courtois.

Retrouver le dossier excel.
Frissonner devant sa maigreur.
Se dire que Hercule et les écuries d’Augias, c’était du pipi de chat. Là, pas question d’utiliser la fourche pour remettre de l’ordre.
Tout à la main.
Tout à la mimine.

Sortir les piles, aspirer la poussière (t’en n’as pas, de la poussière, toi, sur tes CD ?), transférer chaque pile au bureau, devant l’écran, entrer les datas, remettre la pile, en veillant à respecter un semblant d’ordre alphabétique, quitte à affiner plus tard, reprendre une autre pile...etc.

Des heures. Des allers/retours. Des cafés. Des pauses. Encore des cafés. Encore des allers/retours. Du temps. Du temps usé.
C’est ce que je voulais, non ?
Alors c’est gagné. Et en plus c’est réussi.
Et en plus ça m’a remis en tête quelques albums oubliés. Ça m’a aussi permis de retrouver des boîtiers vides ! Et des CD cachés dans des boîtiers étrangers...des bernard l’ermite...

Crainte à présent. Qu’est-ce que je vais bien pouvoir ranger ???