Œil de DOM
Se coucher tard nuit. Me lever matin m’atteint.

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Journal de confinement, page 17...

lundi 13 avril 2020, par Dominique Villy

Lundi 13 avril

Je sue sang et eau pour écrire une misérable page, chaque jour, pour tromper mon ennui et peut-être pour rompre le vôtre. Tant mieux si c’est vrai.

Ce n’est pas toujours facile.
C’est même rarement facile.
Les mots se plaisent à gigoter, à s’esbaudir, à fuir de ma mémoire au moment précis où je souhaite avoir recours à eux, bref, à n’en faire qu’à leur tête.
Les idées s’enchevêtrent, se bousculent, se chipotent et renâclent à se poser dans l’ordre où je prévois de les énoncer.
Les paragraphes, à la relecture, sont la plupart du temps bons à rejoindre la corbeille d’où ils n’auraient jamais dû sortir.
Écrire, relire, rayer, recommencer.
Ordonner, mélanger, fondre, dissoudre, froisser, brûler, recommencer.
Proposer, argumenter, opposer, défendre, recommencer.
Donner du sens, chercher le sens, tomber en panne de sens, manquer d’essence.
J’ai toujours envié les chroniqueurs capables de pisser de la copie au quotidien, au kilomètre, parfois avec un sujet imposé, parfois sans.

Surtout ceux qui, neuf fois sur dix, savent me faire laisser choir toute activité démarrée pour suivre leurs digressions et y trouver de l’intérêt.
Chapeau bas. Quand on sait comme peut être redoutable l’épreuve de la page blanche, on s’incline.

Et ne me dites pas que ces types-là ont chacun un nègre à leur service, qui bosse en secret, qui gratte du papier ou qui chatouille le clavier, et ..... qui rend sa copie en temps et en heure...

J’en serais tout déçu, tout déconfit

Choc des mots.

J’en serais "déconfit..."...déconfit...déconfinement...confinement...
On y revient.
On n’en sort pas.
On tourne en rond.

Ça nous mine, ça nous bouffe. Ça devient obsessionnel.
L’enfermement est difficile à supporter, parfois.
Parfois il est volontaire et souhaité.

Depuis quatre semaines, je n’ai pas pu m’enfermer dans une salle de cinéma !
Depuis quatre semaines, je n’ai pas pu m’enfermer dans une bibliothèque. Depuis quatre semaines, je n’ai pas pu m’enfermer dans un salon de coiffure, ni dans un bistrot, à l’heure d l’apéro, ou du p’tit noir bien serré.
Parfois, on se passerait volontiers de la compagnie des autres...
Parfois il est difficile de s’en passer.

Depuis quatre semaines, je n’ai pas vu ma famille.
Depuis quatre semaines, je n’ai pas vu mes amis.
Depuis quatre semaine je n’ai pas vu mes collègues.
Depuis quatre semaines, je n’ai pas vu mes copains, mes copines, mon copain, ma copine...
Depuis quatre semaines, je n’ai parlé à personne en vis à vis.
Depuis quatre semaines je pratique mon job à travers un écran, j’y fais mes courses, je consulte mon médecin sur mon écran, j’étudie sur mon écran, je joue sur mon écran, depuis quatre semaines je regarde ma ville sur mon écran alors que la rue passe en bas de mes escaliers, depuis quatre semaines je me gave de spectacles vivants sur mon écran.

Depuis quatre semaines, je ne peux plus accompagner mes morts même sur écran...