Œil de DOM
Se coucher tard nuit. Me lever matin m’atteint.

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Journal de confinement, page 20...

jeudi 16 avril 2020, par Dominique Villy

Jeudi 16 avril

Apéro Jardin, hier, chez nous.

Non, pas pour célébrer le trentième jour de confinement.
Mais pour fêter l’anniversaire de D. qui nous a gentiment réunis autour de deux tables placées au beau milieu d’un espace large, fallait pas risquer de s’approcher trop près les uns des autres...
J’avais mon mètre de charpentier dans ma poche pour vérifier les distances de sécurité.
-  « Hep ! Anne, recule de vingt-cinq centimètres, sans te commander. Toi, Aude, tu peux avancer d’un bon mètre si tu veux. Tu as peur ? Bah ! La peur n’éloigne pas le danger... »
Tables qu’elle a recouvertes de plateaux de mini toasts, de gâteaux salés ou sucrés, comme pour un apéro, quoi !
Chacun apporte SA coupe, faut pas toucher aux choses des voisins, ni à celles des voisines...
-  « Bon, ...comment je fais ?
-  Ben tu remplis toutes les coupes, ensuite on s’avance chacun à notre tour, pour prendre chacun la nôtre.
-  D’ac. Heu...faut déjà que j’ouvre la bouteille... »
En temps normal, y a un des mecs qui prend la bouteille et qui vire le muselet, penche
la boutanche,
saisit une coupe et verse.
Là, ...niet. Personne ne se précipite.
C’est D. qui s’y colle, se retourne un ongle en désentortillant cette saleté de fil de fer fourbe, retire à grand peine le bouchon de liège et emplit la première coupe SANS l’incliner.
C’est toute une organisation.
On l’encourage.
Elle s’en tire très bien.
Comme quoi on s’adapte.
Étape suivante : elle se recule de quatre pas et invite l’assemblée à se servir.
Chacun regarde les autres.
-  « Vas-y.
-  Nan je t’en prie, après toi.
-  Nan j’en ferai rien. Sers-toi.
-  Nan honneur aux anciens.
-  Dis, ta gueule, j’suis pas si vieux que ça !
-  Nan, j’plaisante, tiens prends quand même mon siège, j’vois bien que tu fatigues, debout !"
-  Rhaaaaaaaaaa ! Volontiers.
Je noircis, bien sûr.
On est civilisés.
Et on ne gâche pas la fête quand on est invités.
On est contents d’être là, ensemble/chacun de son côté.
Dans ces temps difficiles, on se serre les coudes, sauf si on a éternué dedans...
De plus c’est l’occasion de faire connaissance avec de nouveaux arrivants dans la maison. Un p’tit air d’accent du sud nous berce l’oreille...
Quand tout le monde a sa coupe en main, et ben on souhaite un bon anniversaire à D. C’est sympa.
-  « Ce matin, c’est ma caisse de Mutuelle qui m’a adressé ses vœux en premier. Tôt. Je ne savais pas qu’ils pratiquaient ainsi. Ils m’ont appelée pour savoir si tout allait bien, et ils m’ont précisé qu’une cellule d’aide psychologique était à ma disposition, si j’en avais besoin............................ Étonnant, non ?? J’ai répliqué que ce n’est pas une bougie de plus sur mon gâteau qui va me plonger dans la dépression. J’ai l’habitude maintenant. Ça fait quelques décennies que je vieillis et je m’en tire plutôt bien ! En réalité, ils ne savaient pas qu’aujourd’hui c’est mon anniversaire, c’est le hasard et la pandémie qui les incite à appeler les aînés de leurs sociétaires... »
Chacun y va de son anecdote.
-  « Ben ma copine Berthie, ils l’ont appelée aussi. Elle a très mal pris ça. Tu te rends compte, me disait-elle, c’est la première fois qu’ils me font un coup pareil. L’an dernier, j’étais encore jeune, cette année, ça y est, je suis passée dans la catégorie "vioque" ! Y m’ont énervée, ça m’a fait la journée ! »

Rires dans l’assemblée.
-  « Moi, j’en connais une que je ne nommerai pas, quand elle a eu cinquante balais, son frère unique et préféré lui a déposé en douce un exemplaire de la revue Notre Temps Retrouvé dans sa boîte à lettre. Je veux vous dis pas comme elle grinçait !! »
Commentaire de celle qui fut cinquantenaire :
-  « Un jour, je l’aurai. Je l’aurai, ...un jour ! »
Boire du Champagne excite la faim. Les plateaux sont appétissants. On salive.
-  « Comment on fait ?
-  Ben, comme pour prendre les coupes, chacun son tour...
-  D’ac. Qui commence ?
-  Vas-y.
-  Bon. Toi t’es vieux et chenu, j’te servirais bien un assortiment, mais j’ai pas le droit... Déjà que tu monopolises ma chaise !
-  Dis !
-  Allez, je te blaaaaaague. »
Et chacun de s’approcher. Le buffet est copieux et semble délicieux.
Zieuter à droite, à gauche. S’assurer que la voie est libre.
S’avancer vers les tables.
S’effacer s’il y a lieu, pour laisser la priorité à celle-ci, à celui- là.
Guetter comme ils s’y prennent. Apprendre du groupe. On est une équipe, une équipe qui gagne.
Ne saisir qu’une chips, sans effleurer les autres. Pas facile. Les chips sont imbriquées l’une dans l’autre. Juste le contraire de nous.
En même temps je préfère ne pas me faire manger.
Par qui, d’ailleurs ? Qui s’y risquerait, apéro d’anniversaire où pas.
Sans compter que j’aime pas qu’on gâche la nourriture. Celui qui m’entamera, faudra qu’il me finisse. Les nonoss bien râclés, le cuir prêt à tanner. C’est ça ou pas touche. C’est pas négociable.
Voilà.

Demain sera un autre jour.
Demain sera le jour trente-et-un de confinement.