Œil de DOM
Se coucher tard nuit. Me lever matin m’atteint.

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Journal de confinement, page 29...

lundi 27 avril 2020, par Dominique Villy

Lundi 27 avril 2020

On s’achemine vers la fin du mois d’avril. Envie forte d’ajouter qu ’on va sous peu être autorisés à envoyer aux orties le fil qu’ il ne faut pas quitter en avril.

Ce ne sont pas les fils tissés qui nous préservent de la fraîcheur, qui me pèsent.
D’abord parce que, d’un naturel peu frileux, j’ai depuis des semaines remballé pulls et laines polaires.

C’est le fil à la patte qui me contrarie.
Attaché.
Entravé.
Prisonnier chez moi.

Je suis coupable ? De quoi ?

J’ai pas cuisiné de chauve-souris sauce grand veneur.
Loin de moi cette drôle d’idée. J’ai toujours admiré cette bestiole nocturne, souris ailée, grande dévoreuse de moustiques, discrète, voltigeuse hors pair en ambiance lumière atténuée ...

Gamin, je passais des heures à observer son vol erratique, avec mes copains, au-dessus de la ferme où nous vivions.
Je pressentais déjà la haine des adultes, à son égard, portée par une imbécilité doctement énoncée :
" y a des chauve-souris, les gosses, faut rentrer, sinon elles se prendront les pattes dans vos cheveux !"

Pas moyen d’opposer quoi que ce soit à ces âneries !

C’était le temps béni où l’adulte avait toujours raison, sa science fut-elle tirée de la seule lecture de l’étiquette de sa bouteille de mauvais pinard à col étoilé...

N’importe qui de pas trop abruti aurait réfléchi à la portée de la menace des pattes de chauve-souris dans nos chevelures de mômes : à cette époque, les gars étaient régulièrement tondus et terminés au papier de verre par des coiffeurs brutaux et pas vraiment patients, qui nous obligeaient à rester debout pendant qu’ils nous massacraient avec des outils émoussés...
Et les filles, me direz-vous, les filles, elles ne risquaient donc rien, avec leurs tignasses ébouriffées comme des nids de pies ?
Mais les filles, elles étaient des trouillardes de première (0n disait elles ont la traquette), et dès la tombée du jour, elles se calfeutraient.

Je ne suis pas coupable non plus de crimes de lèse pangolin !

Le pangolin, d’abord, il n’y a pas si longtemps que je connais son existence. J’avais même raté son évocation, par Desproges, et pourtant Dieu sait que je l’ai écouté souvent, Pierre Desproges.
Peu d’années avant son décès il m’avait fusillé du regard : assis au tout premier rang de notre Théâtre Municipal, je pourrissais son show en riant comme une baleine...

Le pangolin.

Mammifère africain discret, furtif, pourchassé dans son biotope, malgré l’interdit, transporté en douce jusqu’en Chine, revendu à prix d’or sur des marchés "exotiques", apprécié par certains gourmets...riches...et...enfin bref.
Tiens tiens tiens...le pangolin ne vit pas en Chine mais est cuisiné pour des Chinois....
Tiens tiens tiens...ça me fait penser au calvaire du rhinocéros...non ? Pas vous ??

Si !

Le rhinocéros, africain, abattu sauvagement malgré l’interdit, est consommé en Chine....
Si on abattait l’animal pour le manger en ragoût, saucisses, pot au feu et escalopes marchand de vin...on pourrait presque comprendre.
Mais...Mais...
Mais les braconniers laissent toute la bête sur le champs.

Ils ne prélèvent QUE la corne...pour le marché chinois.

Il paraîtrait, il paraîtrait ... Y en a qui disent... que la corne de rhinocéros, ...râpée dans la soupe...ça donne de la vigueur...aux messieurs... Il paraîtrait. Si. Oui oui.

Alors ces gens-là se font des mouillettes de pangolin pour s’entretenir la gaule, et ces andouilles laissent échapper le virus transporté par la bête.

Le virus se met à voyager dans le monde entier, dont la Gaule.

Et nous, du coup, on est
attachés
entravés
prisonniers chez nous.

La cellule n’est pas nulle cependant. Le jardin accueillant, je l’ai déjà dit.
L’objectif est louable.

Préserver les autres en se préservant, belle tâche.
Tâche qui vaut qu’on s’y attache.
Pour un résultat sans tache :

En finir.
En sortir.
Et sortir.
Passer à autre chose.

Sortir de chez soi