Œil de DOM
Se coucher tard nuit. Me lever matin m’atteint.

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Journal de confinement, page 34...

vendredi 1er mai 2020, par Dominique Villy

Vendredi 1er mai 2020...

"- Il pleut.
- Oui, ben tu l’as déjà dit hier.
- Oui, mais il pleut.
- D’accord. Et alors ?
- Je sors quand même.
- Comme hier, donc. Pour user de ton droit, pour user tes 60 mn d’oxygénation.
- Comme hier.
- Comme hier, comme avant hier, comme demain..."

Alors je sors.

Lorsque j’arrive en bas de mes 76 marches d’escalier, j’ai le choix entre quatre directions. Aujourd’hui je choisis la seconde.
C’est un court passage étroit, ouvert à la circulation automobile sur cent mètres, qui donne sur ce que nous nommons un "traje" en Franche Comté. C’est un sentier urbain juste assez large pour un piéton.
Par ces temps de pandémie, la distanciation physique y est impossible à respecter. (Ne m’agacez pas avec la "distanciation sociale", c’est une ânerie que je ne veux pas entendre).
Alors le passant, quand il aperçoit un compère qui se dirige sur lui, dans le traje, il s’aplatit, il se tasse, il s’enfonce dans la haie, il rentre son ventre, il retient son souffle et ...et ...il salue !
Tentative de séduction ?
Assurer l’Autre de sa bonne volonté ?
Ne pas risquer de le fâcher par sa seule présence ?
Surveiller le promeneur conçurent, vérifier qu’il ne s’apprête pas à distribuer ses miasmes par un éternuement assassin ?
Désamorcer une bombe latente ?

On devient parano, hein ?!
On se méfie, hein ?!
On le regarde de travers, le quidam qui passe.
On a une lueur meurtrière qui nous traverse le regard.

En temps normal, s’il vient à éternuer, le gars, on ne trouve rien de bizarre : il pleut à verse, au bout de cinq minutes de balade, le promeneur est trempé jusqu’à l’os, le promeneur s’enrhume.
Alors on le gratifie d’un joyeux "à vos souhaits", avec un sourire jusqu’aux oreilles. Ça fait rire tout le monde. C’est bon, le rire. On n’est pas des bêtes.

Là, par les temps qui courent, on remplit illico le formulaire de délation. On en a un dans la poche, avec l’attestation de déplacement dérogatoire. (J’ai cherché la contrepèterie...je ne l’ai pas trouvée).

On prend les mesures du coupables pour commander le cercueil tout de suite.
On envoie le pauvre hère à l’échafaud, sans procès.

Et on est plutôt satisfait de s’être montré citoyen responsable !

Tu vois ce qu’on devient ?
Il paraîtrait que les appels à la gendarmerie pour dénonciations diverses connaissent un regain de succès depuis quelques semaines....
Au secours, Vichy revient...

Bon, moi, je n’ai croisé personne. Je suis sain et sauf ce soir encore. Et je n’ai pas eu à rentrer mon ventre.
Jusque là, ça va.

La pluie se fait violente. Sur le pont Canot, les bourrasques me forcent à tenir de la main mon bonnet de marin breton, que je ne quitte plus, hirsutisme oblige. Mais ça va s’arranger.
- Je m’habitue à ma crête de vieux punk sans avenir. J’hésite encore un peu avant de ficher des clous dorés dans ma vareuse.
- J’ai déjà un rendez-vous auprès d’Anissa. Je devrai doubler le pourboire : d’habitude, il lui faut vingt minutes pour me rendre un semblant d’apparence humaine ; là trois quarts d’heure ne seront pas de trop.

Personne dans les rues. C’est la météo qui effraie le badaud ?

Non. Le badaud, il ne badaude pas, il est confiné.
CONFINÉ.
Planté derrière sa fenêtre, il guette tous les inconscients, tous les meurtriers en puissance qui prennent du bon temps dehors pendant que lui, il s’astreint à rester enfermé. Il ne fait pas prendre de risques à la communauté, lui. Il reste chez lui.

Heu...sauf quand il va chercher le pain, le matin. Mais c’est pas pareil. Ça compte pas. Le pain frais du matin, c’est une religion.
Sauf aussi quand il va promener Museau.
Museau, le chien.
Faut bien aller le promener, Museau. C’est pas sa faute, à Museau, si y a le virus. Museau, quand l’heure approche, il va lui-même chercher la laisse. Il est intelligent, il ne lui manque que la parole. Museau.... Ce bon Museau....

Souci du jour : trouver une cartouche d’encre pour l’imprimante.
Ben pour imprimer chaque jour les deux attestations. Oui. (Parfois quatre....chuuuuuut.)

Quoi, application sur le smartphone !?!?

Mais moi je n’en veux PAS ! Et pis c’est tout !

Tu comprends, le Castaner, en permanence rasé de frais d’il y a trois jours (comment y fait ?), il a l’air franc comme un âne qui recule.
J’ai pas confiance en lui. Pas du tout. Je ne veux pas que ses petits soldats de plomb rentrent dans mon téléphone, qu’ils aspirent tout ce qui est dedans et qu’ils me fichent.

D’abord, j’y suis déjà, fiché, depuis une quarantaine d’années, alors hein y zont qu’à aller fouiller dans leurs tiroirs à suspects, à la Préfecture, s’ils veulent de l’eau pour leur moulin !

" - Qu’est-ce que tu caches donc de si précieux, dans ton Samsung ?
- Rien. C’est pour le principe !!"
- Bon. Quelle mule tu fais !
- Je fais comme je veux. Je fais ce qui me plaît. C’est le mois de Mai !!"