Œil de DOM
Se coucher tard nuit. Me lever matin m’atteint.

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Journal de confinement, page 35...

vendredi 1er mai 2020, par Dominique Villy

Samedi 2 mai 2020

Je ne voudrais pas passer pour un geignard, ceux qui me connaissent te confirmeraient : ce n’est pas le genre de la maison.
Mais là !
Mais là, c’est un peu fort.
Imagine un peu :
Je sors pour le tour à pied quotidien.
Première à droite, deuxième à droite, première à gauche et tout droit. J’ai un peu de courrier à poster, je passerai par le centre de tri. Puis je continuerai jusqu’à la Bascule. Après je verrai.
Hop !
Je marche sans trop m’occuper du reste du monde. Je rêvasse. Je ne vois rien ni personne. D’ailleurs il n’y a personne. C’est étonnant.
Je longe des immeubles silencieux, une prison d’où montent des rumeurs, des voix énervées, un chantier de construction, et ses piles d’agglos, de sacs de sable, de ferrailles à béton. Plus loin, je traverse des voies ferrées désaffectées, je passe devant une caserne et des terrains à l’abandon. Ce quartier pue la mort.

Il est glauque, même sous un soleil rayonnant et un ciel bleu pur. Aujourd’hui il fait gris !

Même si tu es en forme, tu sens le coup de bambou, là, derrière, juste entre les oreilles. Ça te plombe. Ça te secoue.
Vaut mieux passer sans trop regarder.

Si tu n’as pas le moral, n’y va pas. Fuis le secteur.
Barre toi, va loin et ne reviens pas.

Bizarrement, j’aime bien ces friches citadines. Je me sens à mon aise dans ces lieux qui ont vibré, qui ont grouillé. J’aime lire les accumulations de traces de tous ceux qui ont vécu là, qui ont trimé entre ces murs, qui ont passé du temps à travailler, à construire, à bâtir. Ça me plaît.
J’ai fréquenté tous ces lieux, en ville où à proximité, quand ils n’étaient pas encore interdits, murés, grillagés, sécurisés.
Mes appareils photos ont crépité dans des hangars, dans d’anciennes usines, dans les tunnels déserts d’anciennes lignes sncf, dans d’anciennes prisons aussi.

Ces lieux sont chargés. Je m’y suis régalé.

J’en étais là de mes pensées, rêvassant au moment où ce foutu confinement serait une histoire ancienne.
Sac photo sur le dos, monter dans la voiture.
Filer là-bas, où ailleurs ; explorer cette carrière, cette ruine, ce chantier, ce dépôt sauvage de vieilles bagnoles, de pneus ou ce viaduc oublié. Enrichir ma photothèque. Mitrailler. Imaginer.

Dans tes rêves, me dit-on souvent.

Confinement.
Une heure, à un km de la niche. Cercle restreint. Aventure au rabais. Pffffff !

Et là, un panneau publicitaire au bord de la rue.
Image n°1.
"Vive dehors !"
Merci de remuer le couteau dans la plaie, monsieur Casto. Je saurai m’en souvenir.
Deux rues plus loin, un autre panneau publicitaire.
Image n°2.
"On voudrait revivre !"

Mais c’est le Diable, encore une fois !!

Du coup je rentre...et j’oublie de poster mon courrier.

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