Œil de DOM
Se coucher tard nuit. Me lever matin m’atteint.

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Imagination 20-2020 Iris

samedi 23 mai 2020, par Dominique Villy

Mots :
fibre rituel campagne germe exprimer
Photos :
Voir plus bas.

C’est devenu un rituel :
Depuis six ans maintenant, à chaque début de mois, je me plante devant mon écran, et je compose ma lettre au fournisseur d’accès à internet Orange. J’imagine que depuis six ans mon courrier est directement versé à la poubelle. Tant pis. Je n’avais rien réclamé. C’est eux qui ont lancé l’idée.

Je m’explique : il y a six ans, Orange a lancé une campagne à propos de l’Internet à haut débit auprès du syndic qui gère notre immeuble - monsieur vous voudrez bien faire en sorte que vos clients deviennent les nôtres bla bla blaaa vous leur ferez comprendre bla bla blaaa à coups de trique s’il le faut, que se passer de la fibre en 2014 relève d’une absence de clairvoyante coupable et choquante bla bla blaaa alors que notre entreprise remue ciel et terre pour assurer la distribution de dividendes pharaoniques à ses actionnaires à peine multimilliardaires-.

Syndic assura son job de courroie de transmission.
Voisins (et moi-même) signèrent, honteux et confus de n’être pas encore reliés à la Sainte Fibre, jurant qu’on ne nous y prendrait plus, que nous serions rapidement les champions toutes catégories du téléchargement pirate, et que le pear to pear n’aurait bientôt plus de secret pour nous.

Orange a procédé aux travaux préliminaires sur la façade de la maison, un jour de semaine où nous étions partis pique niquer dans la verdure riante de notre Jura tout proche.
Heureuse surprise au retour : Dans les caves et les cages d’escaliers, des "goulottes" sont apparues et ont commencé à ramper en direction des étages. J’ai même pris le temps de les photographier, soucieux de partager ma saine excitation avec mes 647 amis Facebook.

Les voisins, dans les quelques semaines suivantes, ont tous été relié au réseau magique.

Moi non.

Rien.
Sans explication.
Juste quelques phrases évasives :
" Pfffffffffr ! M’sieur, mais c’est pôs possib. Pôs envisageab.
Pourquoi ?
Et ben passk, Msieur. Passsk."

J’ai exprimé mon incompréhension.
J’ai interrogé.
J’ai ironisé.
J’ai grinché.
J’ai grondé.
J’ai râlé (je sais faire).
J’ai rouspété.
J’ai brait.
J’ai gueulé comme un âne rouge.

Rien.

Bernique.

Et c’est là que l’idée à germé.
Harceler, harceler les services sur un mode doux, calme, angélique.
Chaque jour durant longtemps. Puis chaque semaine.
Puis chaque mois, usure oblige.

Tout à coup miracle : Orange frappe à ma porte.
" On est les Gârs de la Fibre. Ouvrez-nous les caves !"
Je me précipite. Je vole dans les étages. J’ouvre tout. Je cours. Je propose un café, un schnaps, un sandwich aux rillettes... Les Gârs, professionnels jusqu’au bout des ongles refusent tout, percent deux trous, fixent un machin, un bidule, et me sonnent :
" On a fini. Vous pouvez fermer."

J’appelle alors Orange.
- " C’est quand est-ce que c’est quand que vous venez changer ma box ? Moi, je suis là cet après midi entre 15h et 16 h.
" Holaaaaaaa mon bon monsieur ! Mais y a un délais légal !
Rhaaaaa ! Bon la semaine prochaine j’suis dispo tous les jours.
Holaaaaaa mon bon monsieur ! C’est six mois le délais !
Je passe sur mes hurlements/ invectives/jurons/menaces/ promesses des feux de l’enfer.

Je raccroche.
Je pleure un bon coup.
Je me prostre.

Six mois passent. L’issue est proche. Je vais rejoindre la communauté des fibrés. Victoire !!

Et le CoronaMinus et son cortège d’atermoiements font leur entrée en scène, sous les applaudissements du public !
J’suis maudit.