Œil de DOM
Se coucher tard nuit. Me lever matin m’atteint.

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Carnage nocturne

vendredi 23 novembre 2012, par Dominique Villy

Carnage nocturne.

Nous habitions alors un appartement très vaste et un peu sombre, aménagé dans le grenier d’une demeure bourgeoise du début du siècle dernier, à la campagne.

Les poutrages de la charpente traversaient l’immense pièce à vivre, régal des gamins de passage qui s’ingéniaient à y grimper. Je ne m’opposais pas à ces acrobaties : les mômes remportaient chez eux les souvenirs de belles parties de chasse aux pirates, ainsi que, collées à leurs vêtements, les toiles d’araignées que mes balais ne pouvaient atteindre !

Dans un coin de la cuisine, un nœud compliqué de poutres formait une sorte de niche suffisamment haute pour accueillir en son sein le réfrigérateur, coiffé de l’indispensable cafetière.

La baie de la cuisine ouvrait sur un petit balcon métallique où le chat avait ses habitudes … et sa caisse. À la belle saison, cette baie n’était jamais fermée.

Nous étions à la belle saison.

Vers cinq heures trente, chaque matin, je faisais une entrée triomphante dans la cuisine.

Ma première tâche consistait à enfoncer, d’un index résolu, le bouton « on/off » de la cafetière, afin que la première lampée de ce breuvage dissolve les éventuelles brumes matinales.

Ce matin-là, donc, je pousse la porte d’un orteil furtif.

Désastre !

Un vase, ou plus exactement ses débris, gisent à terre, les tulipes jaunes sont en vrac et l’eau s’est répandue sur le carreau. Les verres, abandonnés hier soir sur la table, sont, qui couchés, qui explosés sur le sol. Des feuilles des journaux de la semaine sont éparpillées, le pot contenant les couverts est renversé, bref, c’est la zône !

« - Con de chat, Marre, Bordel, Putain, Chier ! »

À cinq heures trente, mon élocution est encore hasardeuse et le champ lexical dont je dispose restreint...

Le chat en question est tout jeune, encore un peu sauvage. Il n’avait pourtant pas encore semé une telle pagaïe dans la cuisine, pièce où il est confiné durant la nuit.

Le fourbe a certainement compris que je n’apprécie que fort moyennement son installation relevant de l’art contemporain dans MA cuisine. Il se fait étrangement plat en tentant de s’échapper. Je bloque son élan, ferme la porte avec autorité et lui plaque le museau dans la flaque née de son chahut nocturne .

Et je gueule !

Qu’est-ce que je gueule !

Bon, je ne vais pas le tanner, non plus. Il m’en faudrait au moins quatre comme lui, pour me confectionner une paire de chaussons douillets.
Alors je le vire sans ménagement. La moquette amortira l’atterrissage.

Bon, café.

Je lève la tête en direction de la cafetière.

STUPEUR !

Une chouette, une chouette effraie même, est perchée SUR ma cafetière !

Elle a chié un peu partout sur le frigo, mais qu’est-ce qu’elle est belle ! Des yeux oranges, cernés de plumes blanches disposées en rayons, lui font un masque délicieux.

Je comprends alors que le matou, que je viens d’étriller, n’était pas responsable du carnage... Il a même dû se battre vaillament contre l’intruse...

Illico, je lui vote une solide rallonge de croquettes.

Puis je nettoie le caffoin ...et je fais enfin couler le café qui va bien...