Œil de DOM
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La déchetterie...

lundi 21 janvier 2013, par Dominique Villy

Mes tiroirs sont profonds. Chaque fois que je les ouvre à fond, je retrouve une vieille histoire, parfois vieille de vingt ans, ou plus, mais toujours parfaitement réelle, vécue...sinon, elle n’aurait aucun intérêt !

Celle-ci date de sept ou huit ans...

J’arrive à la déchetterie avec une grosse remorque encombrée d’une montagne de débris végétaux. Des grandes plantes sèches de deux à trois mètres, genre bambous, que j’avais pris soin d’empiler de façon pouvoir les décharger avec le moins d’efforts possible : On se place contre le bord du quai, on ouvre la ridelle, et hop ! On pousse, on tire avec l’indispensable crochet et en moins de cinq minutes les six mètres cube de tiges sont larguées.

Organisation et efficacité.

J’avais prévu d’arriver vers treize heures pour éviter la cohue.

Organisation et efficacité, encore.

J’avais aussi imaginé que des manœuvres compliquées entre des ribambelles de voitures, camionnettes et remorques m’auraient certainement valu moqueries et quolibets, tant il est vrai que reculer et choisir des trajectoires avec cette remorque tient pour moi du prodige !

On n’aime pas passer pour un gland, hein ?!

Hein ???

Alors on s’organise.

Organisation et efficacité, toujours.

A l’entrée, le gardien me demande ce que je transporte ! (6 mètres cube de tiges de bambou, ça se ne passe pourtant pas inaperçu !)

Comme je ne suis pas trop du genre à me moquer (Si ?! ... Ah bon !), je préfère imaginer que le pauvre diable a laissé échapper ses lunettes dans le bac collecteur des huiles usagées…

Je lui montre le chargement, et je lui concède, du bout des dents :

« - Des végétaux. »

Alors il commence à s’agiter et à vociférer :

« - Moi, j’vous dis que le règlement, c’est qu’il faut que tout soit coupé en morceaux d’un mètre, sinon, moi, j’peux vous empêcher de déposer vos débris ! »

Je me tasse un peu sur mon siège pour éviter la gerbe de postillons qui accompagne cet avis éclairé.

Pas de bol, j’suis tombé sur un tatillon.

« - Bon, excusez-moi, M’sieur, j’connaissais pas tous les détails du règlement ; mais soyez tranquille, c’est que des bambous, j’vais les casser à la bonne longueur et bien les ranger, y en aura pas un qui rebiquera, j’vous l’promets ! »

Le gaillard monte en pression. Je remonte un peu ma glace et mon col. A présent, il agite les deux bras, manière d’appuyer un peu plus son verdict :

« - Ben, y en a qui retournent chez eux, qui cassent leurs trucs et qui reviennent quand tout est à un mètre, c’est le règlement, et le règlement, c’est le règlement ! »

Pétard, j’suis pas sorti d’affaire !

« - Oui, M’sieur, mais moi, j’vais pas faire le chemin deux fois de suite. Il n’y a personne ici. Alors je vais m’installer au bord de la benne que vous allez m’indiquer, et je vais casser mes trucs à la longueur réglementaire, vous pourrez venir vérifier, ça va être aux p’tits oignons ! Vous savez, c’est que des bambous secs, ça brise comme du verre. (Et toi aussi, tu me les brises, mais ça, je me le garde, je ne te le dis pas !)

Le type mouline encore un peu à vide puis marque une hésitation. Il n’y a effectivement personne sur le quai, je ne risque pas de créer d’embouteillage.

Un profond sillon se creuse sur le front du type.

J’ai gagné.

« - Heu, bon, vous allez à la benne treize, vous vous garez bien et hop ! Tout en morceaux d’un mètre, hein ! »

Et il me laisse passer, sérieux comme un pape. Ce type est un peu obtus, mais scrupuleux.

Je vide rapidement tout mon fouillis, en brisant vaguement les branchages qui me semblent un peu longs et qui risquent d’attirer son attention ; je ramasse ensuite tout ce qui est tombé à côté de la remorque, je passe un coup de balai sur l’espace où j’ai transpiré. Plus citoyen, tu trouveras pas !

Tout en me livrant à ces menus travaux, je gamberge : Qu’est-ce que je pourrais trouver à dire à ce type, pour lui faire comprendre que je n’suis plus un petit garçon et que son règlement, il peut se le tailler en pointe…

L’activité physique permet souvent de vider la tête, et donc de la rendre plus efficace pour inventer des solutions. Ça ne rate pas.

L’illumination.

La phrase qui tue.

Elle m’arrive d’un seul coup, toute chaude, prête à servir. J’en ris dans mes moustaches.

Je ramasse mes sangles, je range mon crochet à branchages dans la remorque, je repose le balai et la pelle où je les avais pris, puis je me dirige vers le gaillard, d’un pas que je m’efforce de rendre mal assuré…

« - M’sieur, heu, j’ai un p’tit souci… »

« - Hmmm ? »

« - J’ai tout bien nettoyé, balayé, rangé, mais … »

« - Mmmh ? »

« - Mais, parmi les morceaux que j’ai cassés, y en a qui font pas un mètre ! »

Alors là, le gars, royal, que dis-je, impérial et magnanime, me fait un grand geste, et me donne sa bénédiction :

« - Ça va, c’est bon pour cette fois ! »