Œil de DOM
Se coucher tard nuit. Me lever matin m’atteint.

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Expo Photo à l’Hôtel de Ville

mardi 20 mars 2012, par Dominique Villy

Une exposition de photographies était accrochée pour quelques jours encore, dans une petite salle de l’Hôtel de Ville, Place du Huit Septembre.

Il s’agissait d’une série réalisée par un ami, à propos de l’Orchestre Symphonique de Besançon, dirigé pour un concert exceptionnel par un très grand chef français, de renommée mondiale.

Le photographe avait obtenu des musiciens l’autorisation d’assister à plusieurs répétitions, et de photographier à sa guise les attitudes des instrumentistes, leurs mains, leurs visages, ainsi que toute la symbolique du "ballet" du chef.

Je conduisais à cette expo un cousin, Sébastien, que l’image en général intéresse. Je souhaitais recueillir ses impressions et bavarder avec lui à propos de quelques unes des photos proposées.

Nous arrivons sur les lieux. Face à l’entrée, la salle, modulable, offre un dédale de panneaux blancs où sont accrochées les photos, dans un ordre voulu par l’artiste, façon pour lui de guider le visiteurs dans la construction de son imaginaire.

A l’entrée de la salle, sur la gauche, une table offre au regard des curieux quelques séries de cartes postales, tirages en format réduit des photos les plus représentatives de l’expo, que l’on peut, moyennant quelques piécettes, emporter en partant.

Une pile d’affiches disponibles pour qui veut donner une nouvelle touche à la décoration de son nid, dispute l’espace à quelques exemplaires d’un ouvrage rassemblant les oeuvres du photographe.

Un livre de bord, également, invite le chaland à inscrire quelques mots, tout de suite, à chaud, pendant que l’émotion est encore toute neuve.

Entre ces piles de papier, un téléphone.

A l’entrée de la salle, sur la droite, une petite salle, fermée, réservée à l’exposant ; il y range sommairement les emballages de ses cadres, son stock de cartes et de catalogues, ses affiches, et peut -être une cafetière... Apparemment, la prise de raccordement au réseau téléphonique se situe aussi dans cette pièce : le fil du combiné qui traverse l’entrée en serpentant mollement y pénètre.

Je laisse Sébastien faire un premier tour, à son rythme, dans la salle ; je passe moi-même du temps devant les images qui me font vibrer, je les observe, je les ausculte, je les "soupèse" je tente d’en découvrir l’intime alchimie, j’y lis la magie, le génie, l’étincelle qui fait la différence entre une photo et une bonne photo.

Je me régale.

Sébastien, à quelques pas de moi, est en arrêt devant une image forte : le chef d’orchestre semble quasiment s’envoler tant il vit sa musique. L’oeil allumé, les traits contractés par la concentration, le geste péremptoire, tout dans sa personne indique une grande maîtrise de l’émotion et une autorité époustouflante.

Le photographe a su être là, c’est ce qui me fascine le plus.

Le bavardage des gens qui viennent d’entrer et qui commentent ne nous dérange pas. Nous nous absorbons dans ce portrait, reculons, avançons, clignant des yeux pour gommer le détail et ne laisser transparaître que les lignes de forces. Rien à redire, cette image, même à l’envers, se laisse regarder...

Un type, de l’autre côté du panneau, observe avec autant d’attention que nous les photos qui sont au début du dédale ; de ce fait, entre deux panneaux, pour peu que nous nous déplacions à la même vitesse, nous nous offrons mutuellement la vision de nos tronches, graves ou attentives, éberluées ou intéressées...

Mais ? ! ? !

Mais ? ! ? !

Ben !

Quais ?

Je me tourne vers Sébastien, au moment précis où il me pousse du coude.

" T’as vu ?

  • - J’crois bien !
  • - Moi, j’en suis sûr. "

C’est un curieux hasard : Le type que l’on aperçoit en pointillés entre les panneaux, c’est justement le chef d’orchestre que l’on détaille en noir et blanc sur les tirages exposés !

Sébastien me fait un signe et s’éloigne en direction de l’entrée de la salle.
« Heureusement qu’on n’a pas fait de commentaires désobligeants du gaillard, on aurait eu l’air un peu con. »
Je me défends comme un diable de ce genre de plan :
« T’es louf ! Jamais une idée aussi tordue ne m’aurait traversé l’esprit ! »

Pour appuyer le propos, je me fends d’une belle grimace et j’esquisse deux pas d’une danse lourdaude... et je m’entortille les pieds dans le fil du téléphone,

  • Boum !

fil, qui pour le coup cesse de serpenter mollement,

  • Boum ! se tend et
  • Crac ! envoie promener : le combiné sur le sol, dans un fracas déplacé. .

Andouille !

Je me précipite pour ramasser et replacer le téléphone.

Pas assez vite.

Le gardien de la salle me jette un regard noir, lourd de sous-entendus, et ne daigne pas recevoir les excuses plates que je lui tartine ... Je suis humilié gravement.

De plus, j’entends vaguement cet imbécile de Sébastien pouffer et s’étouffer, lâchement caché derrière un panneau, où le fou rire qui le prend risque de nuire à la qualité de la surface glacée d’une photo de violoniste.

Andouille !

Il redouble d’éclats de rire, de moins en moins contenus, s’éloigne, revient, plié en deux par la crise qui menace de l’abattre. Il vire déjà au bleu, j’en oublie mon humiliation, les soubresauts me gagnent. Je me gondole à mon tour, juste pour pas le laisser seul, dans l’embarras... Nos rires nous font toujours rire.

Sébastien, à la limite de l’asphyxie, tente de retrouver un semblant de contenance, se redresse, et part d’un bon pas vers le fond de la salle... emportant avec sa cheville le fil du téléphone !

  • Boum, tension du fil.
  • Boum, fracas.
  • Crac ! sursaut du gardien, qui envisage déjà de réintroduire la peine de mort pour punir les homicides sur combiné.

Je vire au violet.

Sébastien, lui, se met à clignoter.

Je vais sûrement mourir.

J’en pleure.

Je ne donnerais ma place pour rien au monde.

On se retrouve au fond de la salle, hoquetant, aspirant à grandes goulées un air trop tiède pour nos poumons surmenés.

Les larmes du rire brouillent irrémédiablement les quelques photos que du reste nous ne regardons plus.
Seul souci : comment repasser dignement devant le gardien en vidant les lieux ?

Bon, allons-y de front.

Une bonne inspiration, et hop ! En avant.

Le type est embusqué. Il guette.

Lorsqu’on arrive à trois pas de lui, il se cabre, prêt à bondir.

Je sifflote.

Le cerbère avance le pied gauche.

Je fixe la sortie. L’air du dehors doit être vif.

Il porte son poids sur sa jambe gauche.

Je ne vois que la lumière du jour, là­-bas, à un jet de pierre.

Il décolle le talon droit.

Je me hâte lentement.

Il lève le pied droit, le passe devant la jambe gauche et entraîne dans son
geste le fil du téléphone …

  • Boum !..................................................
  • Boum !………………………………….
  • Crac !..................................................

Je vous passe les détails.

C’était drôle !

Depuis des mois, je n’avais pas autant ri !!!!