Œil de DOM
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Imagination 16-2020 Sylvie

dimanche 26 avril 2020, par Dominique Villy

Photo : une pagode enfouie dans une végétation bien dense de notre campagne française
Mots :
trace rafale salicaire souterrain gambade

Le Vieux avait participé à la guerre colonialiste, en Indochine.
Ça avait été un grand moment, dans sa vie un peu triste de campagnard Creusois. Son premier grand voyage. Son seul grand voyage. Depuis, il répétait en boucle qu’il avait fait l’Indo, bien avant que Charlélie Couture inscrive cette phrase à son répertoire.
Il en était rentré un peu secoué, un peu en désordre.
Faut dire qu’il avait quitté la cuvette de Dien Bien Phu, dans le dernier avion autorisé à décoller, après la boucherie épouvantable qui avait anéanti le régiment d’Infanterie de Marine de Bigeard. Ça avait laissé des traces profondes dans l’esprit de cet homme simple.

De retour à La Souterraine, dans sa Creuse natale, il s’était cherché pendant une assez longue période. Sans formation, sans spécialité, sans envies particulières, il vivotait de petits boulots, de petites combines, de coups de mains donnés à droite et à gauche. C’était un brave type, et les gens du cru l’aimaient bien.
Il connaissait la nature, pour la sillonner régulièrement à pied. Un sandwich à la saucisse sèche, une bouteille de bière dans son sac à dos kaki, son opinel, sa pipe et un paquet de tabac brun dans la poche du treillis, il était le plus heureux des hommes. Durant ses années d’Indo, il s’était forgé un corps souple et noueux et un moral de fer. Il était capable de marcher, de courir des heures durant à travers les forêts des environs.
Un de ses grands plaisirs était de pousser jusqu’à la pseudo pagode de ce maboul de Rahavhasahndra, alias Simonpietro, un illuminé débarqué ici il y a quinze ans, de s’installer au frais parmi les salicaires, de quitter rangers et chaussettes, et de grignoter son sandwich, les pieds dans l’eau sombre. Là, au moins, pas de risque de croiser le moindre crotale des bambous qui gambaderait sournoisement !

Une fois, il s’était accordé une petite sieste. C’est une rafale de mitrailleuse qui l’a tiré des bras de Morphée. Hagard, il s’est relevé en hurlant de terreur, libérant les vieux fantômes qui l’habitaient depuis 1954 et le Vietnam.
Ce n’étaient que nos valeureux soldats à l’entraînement, dans le camp de la Courtine tout proche.

Dom

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